L'article suivant a paru dans le numéro 89 "Art et Foi" de juin 1982 du mensuel La Joie, périodique de la jeunesse des églises apostoliques de Suisse Romande.

 

J'ai 75 ans et si je suis peintre...

 

Deux mots désignant des manifestations bien distinctes l'une de l'autre, l'art peut exister sans la foi et la foi peut être vivante sans se révéler par une création artistique. L'art peut être témoin de la foi de l'artiste et il I'est toujours s'il est donné au mot foi un sens autre que celui de foi chrétienne. L’œuvre d'art est révélation de l'esprit habitant en celui qui la crée. L'artiste peut oeuvrer sous l'inspiration du Saint-Esprit, comme il peut agir sous l'impulsion d'un esprit d'impiété, de doute, de rébellion. Une création artistique peut être très belle tout en étant l'élaboration d'un esprit d'impureté ou de violence, de mensonge ou de haine. Elle sera pain de deuil alors que l’œuvre d'art, témoignage de foi au Christ ressuscité, offrira le pain de vie par l'amour habitant l'artiste ayant renoncé à toute autonomie. Le témoignage sera vrai s'il est d'abord oeuvre d'art.

Plutôt que de disserter sur I'art et la foi, occupation qui pourrait durer jusqu'à la fin de mes jours, je préfère me situer dans le moment présent avec ce que je sais de mon art et de ma foi. Je crois qu'en ce qui me concerne, l'artiste inspiré garde sa pensée captive à l'obéissance à Jésus-Christ pour construire un message, au moyen de lignes, couleurs, formes choisies dans des proportions éprouvées, afin qu'elles recouvrent une surface déterminée d'un bord à l'autre.

J'ai 75 ans et, si je suis peintre et barbouilleur dès ma naissance, je ne suis artiste qu'après m'être reconnu doué et en avoir reçu confirmation par mes professeurs successifs à la fin de mon école primaire. Elle marqua le début d'une instruction et d'une formation adéquates au cours de nombreuses années. Je n'ai cessé depuis de dessiner, peindre et créer des oeuvres nouvelles mais les plus belles, les plus harmonieuses, les plus vraies sont restées dans mon imagination et elles exercent toujours en moi une pression pour s'exprimer par les moyens dont j'ai la libre disposition. Voilà pour I'art. Quant à la foi en Dieu, mon Père en Jésus le Christ vivant, elle m'est venue après avoir fait l'expérience de sa Parole, chemin, vérité et vie. Né dans une famille chrétienne, élevé par des parents lisant et citant les Saintes Ecritures, je me suis cru mis à part dès ma naissance, me considérant automatiquement sanctifié. Dans le monde, je vivais en pensant être hors du monde soumis à la colère de Dieu, pharisien inconscient et hypocrite. II m'a bien fallu alors que je me croyais "artiste chrétien" (comme s'il pouvait exister un art chrétien) apprendre à me connaître et à me reconnaître misérable et perdu. Grâce à la lecture jamais abandonnée de la Parole de Dieu, la découverte de ce que j'étais progressait en même temps que le besoin d'être pardonné et sauvé. II ne m'est pas possible de fixer le jour de ma conversion. Elle fut progressive pour devenir permanente, marquée par le baptême dans l'Esprit, le baptême par immersion, et me permit de saisir par la foi le salut en Jésus, son pardon, et de recevoir la liberté d'une vie nouvelle avec le Christ ressuscité, mon Seigneur et mon Roi.

Les travaux et les recherches, en vue d'une création artistique valable, n'apportent pas toujours à I'artiste une pleine satisfaction et il ne sait pas d'emblée si son oeuvre est achevée. Nourrie par la Parole dans la vérité révélée par le Saint-Esprit, l'imagination est régénérée pour l'accomplissement des desseins de Dieu. J'ai suivi à plus de 40 ans de nouveaux cours des beaux-arts et y ai découvert un nouvel aspect de l'art abstrait qui m'a amené à laisser le Seigneur écrire sa loi dans mon cœur et c'est son Esprit qui produit en nous le désir de faire sa volonté. Il nous qualifie par ses dons, nous laissant la liberté de les développer dans l'amour à son service. C'est une constante transformation qui s'opère dans les visions intérieures, créant des oeuvres soucieuses de manifester la grâce, la justice et la souveraineté de Dieu à la gloire du Christ afin de le témoigner personnellement devant les frères et l'humanité tout entière. Le Seigneur est bon qui m'accorde de me réaliser le mieux dans mes vieux jours, selon ce qu'Il a préparé.

Dans la reconnaissance à Celui qui est le dispensateur de tout don parfait, il vaut la peine de se soumettre à une discipline et des exercices quotidiens pour que les dons reçus soient porteurs des fruits de l'Esprit. L’œuvre réalisée sera lumière et exprimera comme dans un culte, un sermon ou une prière, la gloire Dieu où l'Esprit de vérité aura chassé toutes ténèbres malignes. J'ai fait l'expérience qu'au cours de l'exécution d'un tableau, je suis appelé à examiner mes actes, mes paroles et mes pensées afin de rester dans la lumière. II m'arrive d'interrompre mon travail et pour le reprendre dans la vérité, il est nécessaire d'être remis au diapason de l'Esprit, seul créateur de toute oeuvre bonne. II faut parfois revenir en arrière, découvrir des refus d'amour, des irritations, des jugements. En poursuivant le travail sans distinguer la sainteté de Dieu, il me manque la joie, l’œuvre devient terne et perd ce qu'elle avait de spontané. II est possible de procéder à des retouches de tonalités en s'appuyant sur des techniques éprouvées, mais la paix ne revient pas jusqu'à ce que je découvre qu'il y a rupture avec l'inspirateur de toute oeuvre utile préparée à I'avance pour la gloire de Dieu. Le Saint-Esprit ne peut mettre son sceau sur l’œuvre d'une volonté rebelle. Le Seigneur est fidèle et juste pour révéler la désobéissance et l'esprit d'autonomie, comme il est fidèle et juste pour me pardonner. Par sa grâce souveraine, je peux repartir dans une marche en avant joyeuse et paisible.

Dès le jour premier de la création, Dieu est. II parle et par sa parole fait jaillir la lumière. Par la foi, je désire marcher dans la lumière. II a été dit qu'elle était bonne, mais il n'a pas été dit que Dieu ait détruit les ténèbres. II les a brisées mais elles sont restées en place, séparées. C'est pourquoi je ne méprise, ni ma nature, ni mes faiblesses. Ces racines qui sont dans les ténèbres, il ne m'appartient pas de les couper, ni de me déraciner. Tel que je suis je peux vivre dans la lumière et soumettre les ténèbres afin de les utiliser pour une marche victorieuse dans la lumière. Ainsi l'art abstrait a besoin d'une charpente, même invisible, afin d'être construction vivante dans ses lignes, ses couleurs et les supports que constituent les oppositions de tonalités. Elles déterminent la lumière en fonction de la place occupée par les ténèbres. Lorsque tout sera lumière, il n'y aura plus besoin de révélation, ni de révélateur, comme seront inutiles mes oeuvres d'art. En attendant, pour être comprises et témoigner, il n'est pas nécessaire que chaque élément soit assimilé, elles ont besoin d'être aimées, d'être accueillies, comme un serviteur, sous son apparente abstraction, révélant un monde concret de vie intérieure. L'aimer sans référence à un être connu. Pour comprendre la Parole inspirée, notre intelligence ne suffit pas sinon nous resterions prisonniers de notre état. Soyons comme des enfants qui reçoivent la lumière dans leur sommeil. Ils se détournent, grognent, mettent leurs poings devant les yeux, puis, éblouis, se laissent interpeller par la lumière. Réjouissons-nous de ce que les ténèbres sont suivies par la lumière du matin qui vient. Alléluia!

                                                                       Roger Margot, Neuchâtel