L'article suivant a paru dans ACTES, la revue des universitaires et hommes d'affaires chrétiens (Genève), en juillet 1981 (no 56), aux pages 12 à 15.

 

Un artiste-peintre, témoin?

par Roger Margot de Neuchâtel (La couverture de ce numéro est également son oeuvre)

Créateur...

A ce titre, il est raisonnable d'ajouter la question: témoin de qui? témoin de quoi? En effet pourquoi I'artiste-peintre présente-t-il des tableaux qu'un certain public ne comprend pas? Pourquoi persévère-t-il à créer des oeuvres plaisantes certes, belles peut-être, où l'on ne retrouve pas ce qu'on a l'habitude de voir? Comment peut-il persister à offrir des compositions bien construites souvent, harmonieuses parfois, mais dont le sens demande une interprétation qui ne paraît pas toujours être évidente?

Créateur d'expressions nouvelles...

Pour I'artiste croyant à la vérité de la Parole inspirée, certain de son salut en Jésus-Christ devenu son Seigneur, n'est-ce pas trahir le Dieu créateur que de ne pas reproduire fidèlement ce que tout le monde voit et pourquoi s'exprimer par une peinture non figurative et même par un art dit "abstrait"? Ne confondons pas non plus cet art, apparemment sans référence à la réalité concrète, avec le surréalisme qui reste figuratif par la représentation d'objets mais s'exprime en utilisant toutes les forces psychiques libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues faisant appel à I'automatisme, au rêve et à l'inconscient.

de vécu par le cœur...

Par ces différentes manières de s'exprimer, on comprend que I'artiste est toujours un témoin et que sa peinture n'est pas nécessairement l'imitation d'une chose vue par les yeux, mais le témoignage d'une chose vécue par le cœur. L'art ne naît pas d'un idéal esthétique mais d'une expérience intérieure. Le peintre devient alors poète. Manessier a déclaré: "Je commence à peindre quand je ressens une coïncidence très étroite entre le spectacle que j'ai sous les yeux et mon état intérieur. Cette correspondance déclenche une joie créatrice que j'ai envie d'exprimer." Précisons que la démarche d'une peinture non figurative détache le tableau de la transcription du spectacle naturel. La nature invite, propose et le peintre choisit formes, rythmes, couleurs en relevant ce qui dans la nature est pictural et il épure ce qui ne l'est pas.

I'artiste extériorise sa méditation..

La sensibilité du peintre à ce qu'il fait se substitue à sa sensibilité, à ce qu'il voit. L'art abstrait n'entretient plus aucun rapport avec la nature sensible. Il est le résultat d'une méditation permanente engageant I'artiste à extérioriser et à exprimer cette pression constante sur ses sentiments à travers ses dons naturels soumis à une discipline précise. C'est bien de disciplines qu'il convient de parler, car c'est à leur soumission consentie par des exercices et des travaux quotidiens que les dépôts découverts au plus profond de I'être arriveront à en témoigner dans un tableau.

...sa méditation spirituelle (impure ou sanctifiée)

Le témoignage sera vrai s'il est d'abord oeuvre d'art. Celle-ci révèle non seulement la compétence technique du professionnel mais aussi à travers elle l'esprit qui I'habite et la domine. La création artistique peut être très belle tout en étant l'élaboration d'esprits impurs, de haine, de violence, de confusion, d'amertume. Elie est alors "pain de deuil". Par contre, l’œuvre d'art témoignage de foi au Christ sera création d'amour de I'artiste renonçant à toute autonomie, amenant, peut-être même dans la souffrance, toute pensée captive à l'obéissance à Jésus-Christ pour construire un message par des couleurs, des lignes, des formes choisies dans des proportions éprouvées, remplissant d'un bord à I'autre une surface donnée.

...il exprime sa vérité

Au-delà des apparences de la nature, la peinture est faite d'intériorité et le tableau baigne dans un éclairage perçu et reçu. A I'artiste de métier de faire valoir la vérité révélée avec des sentiments ajoutant à la foi la vertu courageuse, à la connaissance la maîtrise de soi, à la persévérance la piété, à la fraternité I'amour. Ce sont là fruits de I'Esprit permettant de ressentir la lumière exprimable et d'être libéré de toute ténèbre maligne. Non, ce n'est pas manifestation d'orgueil, mais foi et obéissance.

 

...il faut chercher à pénétrer ses secrets

Le peintre et graveur Jacques Richard Sassandra de Paris a exprimé avec beaucoup de finesse et de sensibilité la situation de I'artiste devant ce que le professeur de théologie Henri Blocher appelle "son humble faire valoir" : "On pense souvent qu'il faut à tout prix expliquer les images et que leur auteur est le mieux placé pour le faire. Mieux vaut plutôt les regarder comme un jardin déclos mais secret et s'y promener sans arrière-pensée!"

...j'essaie d'être fidèle

Je ne suis pas toujours certain d'être fidèle à l'écoute du Maître, mais je vous demande de comprendre dans mes oeuvres la présentation de mon humble offrande. Je terminerai en faisant mienne la parole d'une marchande de couleur... de pourpre plus exactement. Vous la connaissez, elle habitait Thyatire et se nommait Lydie. Elie servait le Seigneur qui lui fit la grâce d'ouvrir son cœur pour qu'elle fût attentive aux choses que I'apôtre Paul disait. Elle fut baptisée, elle et sa maison. Alors elle dit : "Si vous jugez que je suis fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et demeurez-y."